Football / Le droit à l'indemnité de formation et son calcul

Le 5 juin 2015, le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), Lausanne, a rendu sa sentence relative au litige opposant le club de football de Lille au club belge du KRC Genk, quant au paiement d'une indemnité de formation suite au transfert du joueur Divock Origi.

Une excellente occasion pour nous de faire un point sur le droit applicable en matière d'indemnités de formation, tout en revenant sur l'intérêt de cette décision.

Les faits

Divock Origi est un joueur de football belge, né à Ostende le 18 avril 1995, évoluant aujourd'hui avec le club anglais de Liverpool.

Il a débuté sa formation de footballeur au KRC Genk en 2006.

Le 29 avril 2010, alors âgé de 15 ans, il a notifié sa démission au KRC Genk.

Suite à cette démission, Divock Origi a conclu un contrat de joueur "aspirant" avec le LOSC.

Le 3 août 2011, la Sous-Commission du Statut du Joueur de la FIFA a approuvé la demande de transfert international introduite par le LOSC pour Divock Origi.

Le 14 novembre 2011, Genk a demandé au LOSC le paiement d'une somme d'environ 40.000 euros au titre de l'indemnité de formation du joueur.

Le 14 février 2012, Genk informe le LOSC qu'il a corrigé son calcul et lui notifie une nouvelle demande au titre de l’indemnité de formation à hauteur de 300.000 euros. 

Le 1er mars 2012, le LOSC répond que l'indemnité de formation due s'élève à 38.000 euros et rejette le montant de 300.000 euros demandé par le KRC Genk.

A défaut d'accord, Genk introduit une plainte devant la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA (CRL) aux fins d'obtenir une indemnité de 300.000 euros.

Devant la CRL , le LOSC conteste l'indemnité, non seulement dans son montant mais également dans son bien fondé. La CRL considère qu'aucune indemnité n'est due à Genk et donne raison au club français.

Le 10 juillet 2014, Genk décide de déposer une déclaration d'appel devant le TAS.


Positions des parties


Genk :

Genk demande l'annulation de la décision de la CRL et maintient sa position quant à son droit à une indemnité de formation et à son montant (300.000 euros), suite au transfert international de Divock Origi. 

Le club belge affirme qu'il était dans l'impossibilité légale de proposer un contrat de sportif professionnel au jeune footballeur mais qu'il a bien manifesté un intérêt sincère à le conserver en son sein.

Il conteste par ailleurs le montant avancé par le club français (38.000 euros), affirmant que le déplafonnement du montant de l'indemnité (prévu par les textes FIFA depuis 2009) s'applique bien au cas d'espèce.

Lille :

Le LOSC conteste le droit à une quelconque indemnité de formation dès lors que, à la démission de Divock Origi (29 avril 2010), Genk ne lui a fait aucune proposition de contrat, ni n'a manifesté d'intérêt à son égard.

A titre subsidiaire, si une indemnité était due, le club français considère que la mesure relative au déplafonnement de l'indemnité adoptée en 2009 n'est pas applicable aux saisons précédant son entrée en vigueur.


Les règles en vigueur


Au niveau international, les indemnités de formation sont régies par l'article 20 et par l'annexe 4 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA.

Note : l'indemnité de formation doit être distinguée de la contribution de solidarité. Cette dernière n'est en effet due au(x) club(s) formateur(s) du joueur qu'en cas de paiement d'une indemnité de transfert à l'ancien club.

L'article 20 du RSTJ prévoit que des indemnités de formation sont dues au(x) anciens club(s) formateur(s) du joueur :

1) lorsqu'un joueur signe son premier contrat en tant que joueur professionnel ; et

2) lors de chaque transfert international d'un joueur professionnel jusqu'à la saison de son 23e anniversaire.

Il précise que cette indemnité est due que le transfert ait lieu avant ou après l'expiration du contrat du joueur.

En revanche, aucune indemnité de formation n'est due dans les 3 cas suivants :

- lorsque l'ancien club a mis fin au contrat du joueur sans juste cause ; ou
- si le joueur est transféré vers un club de catégorie 4 (cf. ci-dessous) ; ou
- si le professionnel réacquiert son statut d'amateur du fait du transfert.

La période de formation :

L'annexe 4 du RSTJ apporte des précisions quant à la période de formation.

Il est d'abord précisé qu'elle débute à l'âge de 12 ans.

L'indemnité de formation est, en règle générale, payable jusqu'à l'âge de 23 ans pour une formation suivie jusqu'à l'âge de 21 ans.

Toutefois, s'il est établi que le joueur a terminé sa formation avant l'âge de 21 ans (ex : conclusion d'un contrat professionnel), le calcul du montant sera basé sur la période allant de l'âge de 12 ans à l'âge auquel il est établi que le joueur a terminé sa formation.

Calcul du montant de l'indemnité :

En cas de transferts successifs, l'indemnité est calculée au prorata de la période de formation que le joueur a passé dans chaque club.

La formule à retenir est la suivante : coûts de formation X nombre de saisons de formation passées au club

Coûts de formation : 

Chaque association classe ses clubs en 4 catégories maximum (seuls la France, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Brésil et l'Argentine ont des clubs classés en catégorie 1). 

A chaque catégorie correspond un montant de "coûts de formation" qui doit être multiplié par le nombre de saisons de formation que le joueur a passées au sein du club. Au sein de l'UEFA par exemple, les clubs classés en catégorie 1 ont des "coûts de formation" fixés à 90.000 euros. Au sein du CONMEBOL (confédération sud-américaine), ils sont fixés à 50.000 dollars américains.

En principe, il y a lieu de retenir les coûts de formation du nouveau club, comme si ce-dernier avait formé le joueur lui-même. Dans le litige opposant le LOSC à Genk, il y aurait donc lieu de prendre en compte les coûts de formation du LOSC (soit 90.000 euros).

Toutefois, une disposition particulière applicable aux transferts internationaux réalisés au sein de l'Union Européenne (ou de la zone EEE) prévoit que si le joueur est transféré d'un club de catégorie inférieure à un club de catégorie supérieure, le calcul doit être basé sur la moyenne des coûts de formation des deux clubs.

En l'espèce, Genk étant classé en catégorie 2 UEFA et le LOSC en catégorie 1 UEFA, il y a lieu de faire une moyenne des coûts de formation des deux clubs, soit (90.000 euros + 60.000 euros) / 2 = 75.000 euros. C'est le montant qui a été retenu par Genk dans sa demande et par le TAS dans sa sentence. 

Délai de paiement de l'indemnité :

Le paiement de l'indemnité doit être effectué dans un délai de 30 jours à compter de l'enregistrement du joueur professionnel auprès de la nouvelle association.

Si les clubs formateurs ne se manifestent pas dans un délai de 18 mois suivant l'enregistrement du joueur, l'indemnité de formation doit être versée à (aux) l'association(s) du (des) club(s) ayant formé le joueur.


Questions tranchées dans l'affaire KRC Genk c/ LOSC


Dans la décision étudiée aujourd'hui, deux questions principales sont tranchées par le TAS. 

Tout d'abord, la nécessité pour le club formateur de proposer un contrat au joueur ou de manifester son intérêt à l'égard de ce dernier, pour pouvoir exiger le paiement d'une indemnité de formation à son nouveau club. 

Ensuite, l'applicabilité au litige qui lui est soumis du mécanisme de déplafonnement de l'indemnité de formation, introduit en 2009 dans le RSTJ.

Proposition de contrat ou justification d'un intérêt à une indemnité de formation :

Il s'agit certainement de l'intérêt majeur de cette décision. Les clubs professionnels de football devront veiller au respect de cette disposition (prévue à l'article 6 § 3 de l'annexe 4 du RSTJ), s'ils ne veulent pas faire une croix sur leurs indemnités de formation.

Pour tout transfert international réalisé au sein de l'UE (ou de la zone EEE), aucune indemnité de formation n'est due au club précédent si :

- le club précédent n'a pas proposé de contrat au joueur ; et
- le club précédent ne justifie pas d'un droit à une telle indemnité.

Le club formateur doit ainsi faire parvenir au joueur une offre de contrat, d'une valeur au moins équivalente à celle du contrat en cours, au moins 60 jours avant l'expiration de son contrat en cours. 

En l'espèce, le KRC Genk n'a pas fait parvenir de proposition de contrat à Divock Origi avant sa démission. Et c'est sur ce fondement que la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA lui refuse son droit à indemnisation.

Mais le KRC Genk va développer une défense en deux temps qui va convaincre la formation arbitrale du TAS.

En premier lieu, Genk rappelle qu'il était dans l'impossibilité légale de proposer un contrat à Divock Origi, 15 ans à l'époque, car en droit belge :

- un joueur de football ne peut conclure de contrat de travail de sportif rémunéré avant l'âge de 16 ans
- il est interdit de laisser/faire travailler un mineur de moins de 15 ans, ou qui est encore soumis à l'obligation scolaire à temps plein

Ces obligations sont sanctionnées par le Code pénal social belge (amendes pénale et administrative, peine d'emprisonnement, interdiction d'exploitation et fermeture de l'entreprise).

En second lieu, le KRC Genk s'appuie sur la deuxième branche de l'article 6§3 de l'annexe 4 et affirme qu'il justifie bien du droit à une indemnité de formation. Pour cela il se base sur la jurisprudence du TAS qui reconnaît le droit à une indemnité à tout club qui démontrerait un "intérêt sincère et de bonne foi" à conserver le joueur en son sein. Le club doit donc prouver qu'il désirait conserver le joueur dans ses effectifs (y compris en centre de formation ou académie de football) avec pour objectif de garder la possibilité de lui proposer un contrat professionnel dans le futur.

Afin de démontrer cet intérêt sincère et de bonne foi, le club belge produira notamment les rapports d'évaluation du jeune joueur et la preuve de sa participation à un grand nombre de matchs internationaux avec les sélections de jeunes belges.

Il est intéressant de noter que la jurisprudence du TAS avait par le passé jugé ce type de preuves insuffisant (affaire KRC Genk c/ Monaco) pour justifier d'un droit à indemnité. Ce qui a fait ici pencher la balance en faveur du club formateur, c'est le fait qu'en proposant un contrat au jeune Divock Origi, Genk aurait violé la loi belge et se serait exposé à des sanctions pénales.

Mécanisme de déplafonnement de l'indemnité : 

En principe, une indemnité est due pour la formation du jeune footballeur s'étant écoulée entre son 12e et son 21e anniversaire. L'article 5§3 de l'annexe 4 du RSTJ prévoit toutefois un mécanisme de plafonnement : les coûts de formation dus pour les saisons des 12e, 13e, 14e et 15e anniversaires du jeune footballeur correspondent toujours aux coûts de formation de catégorie 4 (soit 10.000 euros pour l'UEFA).

Le 1er octobre 2009 est entrée en vigueur une mesure visant à déplafonner ces coûts de formation lorsque l’événement donnant droit à l'indemnité de formation intervient avant la fin de la saison du 18e anniversaire du joueur.

En l'espèce, l'enregistrement de Divock Origi en tant que joueur du LOSC ayant eu lieu avant son 18e anniversaire, les coûts de formation de droit commun (moyenne des coûts de formation des deux clubs) doivent être appliqués y compris aux saisons du 12e, 13e, 14e et 15e anniversaires du joueur.

Le LOSC avait contesté l'application de la mesure, considérant qu'elle ne pouvait rétroagir et, de ce fait, s'appliquer à des saisons antérieures à son entrée en vigueur.

Le TAS a tranché cette question d'application de la loi dans le temps en se basant sur l'article 26  § 2 du RSTJ : les litiges concernant l'indemnité de formation sont tranchés conformément au règlement en vigueur au moment de la signature du contrat litigieux ou de la survenance des faits litigieux. 

Dans le litige Genk c/ Lille, le certificat international de transfert du joueur a été émis le 3 août 2011. C'est cette date qui est retenue par le TAS. La mesure de déplafonnement des indemnités en cas de transfert avant la fin de la saison du 18e anniversaire du joueur est donc bien applicable.

Attention : le mécanisme de déplafonnement ne figure plus dans la nouvelle version du RSTJ de 2014, entrée en vigueur le 1er avril 2015.

Solution donnée au litige


Le TAS a annulé la décision de la CRL.

Il reconnaît le droit à indemnité de formation du KRC Genk suite au transfert de Divock Origi au LOSC.

Par conséquent, il condamne Lille au paiement de 300.000 euros (75.000 euros x 4 saisons de formation) au titre de l'indemnité de formation et au paiement de 5% d'intérêts de retard annuels à compter de la date d'exigibilité de l'indemnité.


Commentaires